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Les marchés publics, pas si agiles que ça !

Depuis quelques années, nous observons un véritable engouement de la part des donneurs d’ordre pour la méthode agile. Si cette pratique retient l’attention des acheteurs publics les réflexions semblent plutôt s’orienter sur la voie de leur compatibilité avec le code des marchés publics. Qu’en est-il réellement ? Les marchés publics sont-ils agiles ?

 

Qu’est-ce que l’agilité en informatique ?

Quand on parle d’agilité dans le domaine de l’informatique on l’associe souvent à un effet de mode, comme pourrait l’être le cloud computing ou la virtualisation des serveurs.

En réalité, il ne s’agit pas de cela puisque la méthode Agile est apparue la première fois dans les années 1990, notamment avec la mise en œuvre de la méthode RAD, méthode de développement rapide. Depuis, plusieurs autres méthodes Agile sont apparues : Scrum, XP (eXtreme Programming), DSDM (Dynamic Software Development Method), Chrystal Clear,…

De quoi s’agit-il ?

Comme sa dénomination le laisse entendre, la méthode Agile introduit de l’agilité, de la souplesse ou de la réactivité dans les projets informatiques. Schématiquement, il s’agit d’adopter une approche itérative et incrémentale dans l’exécution des prestations informatiques tout en maintenant un esprit collaboratif entre le donneur d’ordre et les équipes intervenantes.

Ainsi, contrairement aux méthodes classiques de gestion de projet informatique inspirées de l’ingénierie du bâtiment et préconisant un découpage en phases successives des prestations sur la base d’un cahier des charges prédéfini, l’agilité s’appuie sur quatre valeurs rappelées dans le « manifeste Agile » de 2001 :

  • S’adapter au changement plutôt que de suivre un plan;
  • Collaborer avec les clients plutôt que de négocier un contrat;
  • Favoriser les individus et leurs interactions plutôt que les processus et les outils;
  • Livrer des logiciels opérationnels plutôt qu’une documentation exhaustive.

C’est dans les projets de développement de logiciels, notamment les projets open source, que la méthode rencontre le plus de succès. Cependant, il est possible de l’étendre à d’autres projets informatiques tels que l’assistance à maîtrise d’ouvrage ou à la maîtrise d’œuvre, la tierce maintenance applicative, la réalisation d’applications web ou alors des projets plus innovants.

 

La mise en œuvre de l’agilité dans un projet informatique 

Le principe du développement itératif consiste à découper le projet informatique en plusieurs étapes d’une durée de quelques semaines, qu’on désigne sous le terme d’itérations (sprints). Les fonctionnalités attendues établies sous forme de liste (backlog) sont ainsi réalisées, soumises au donneur d’ordre et intégrées au fur et à mesure du cycle de vie basé sur un mode incrémental.

Le donneur d’ordre peut fixer un ordre de priorité des fonctionnalités, ajouter, modifier ou enlever des fonctionnalités tout au long du projet. Il vérifie chaque itération et peut alors se rendre compte par lui-même très tôt des écarts avec sa demande. Ainsi, la solution à développer s’enrichit progressivement pour atteindre le niveau de satisfaction et de qualité requis.

Du côté du prestataire, chaque itération est considérée comme un mini-projet en soi qui comporte toutes les activités de développement (analyse, conception, codage, test) et de gestion de projet. Ainsi théoriquement, un projet pourrait être arrêté à la fin de chaque itération pour garantir une solution opérationnelle.

 

Les incompatibilités entre le code des marchés publics et la méthode Agile

Appliqué aux exigences du code des marchés publics, cette méthode peut paraître inopportune pour un acheteur public informatique.

Tout d’abord, même si elle peut être une réponse adaptée au caractère aléatoire de l’informatique, l’approche Agile s’oppose incontestablement aux dispositions de l’article 5 du code des marchés publics qui impose que « la nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant tout appel à la concurrence ou toute négociation non précédée d’un appel à la concurrence […] ».

Ensuite, la structure même du marché public de développement de logiciels, souvent organisé autour du triptyque « périmètre-délai-prix », conduisant le prestataire à s’engager sur un montant global et forfaitaire, ne favorise pas l’application d’une telle démarche.

De plus, au-delà du marché public, le CCAG-TIC lui-même dans ses articles 25 à 28 relatifs aux opérations de vérification et de réception (MOM-VA-VSR) ne permet pas, sans dérogations majeures, de vérifier de manière dynamique et systématique les prestations exécutées dans le cadre d’un projet Agile.

Enfin, et ce point est capital, il est impossible de modifier substantiellement le marché par voie d’avenant en application de l’article 20 du code des marchés publics.

A l’évidence, le mode incrémental de la réalisation des prestations dans une approche Agile paraît difficilement conciliable avec les règles de la commande publique.

 

Panorama des bonnes pratiques pour un achat public agile

Pour autant, et sans vouloir minimiser l’importance des incompatibilités relevées plus haut, il convient tout de même de s’interroger sur les modalités pratiques et juridiques permettant d’intégrer au mieux l’agilité dans les marchés publics. Car il ne fait pas de doute que l’application de la méthode dans le cadre de la commande publique d’informatique peut avoir un effet vertueux, notamment sur les délais de réalisation.

Sans prétendre à l’exhaustivité, signalons quelques points de vigilance concernant l’introduction de la méthode Agile dans un marché d’informatique.

  • La procédure de passation : selon le montant d’achat prévu au regard du seuil de passation des marchés publics, le pouvoir adjudicateur devra choisir soit une procédure formalisée ou  soit une procédure adaptée. Devant une concurrence importante, il peut être intéressant de mettre en œuvre une procédure d’appel d’offres restreint avec plafonnement du nombre de candidats admis.
  • La sélection du prestataire : les caractéristiques de la méthode Agile impliquent de la part des prestataires un niveau de compétence important et une haute disponibilité. L’acheteur devra vérifier avec attention les capacités professionnelle et technique et adapter les critères de sélection des offres dans ce sens.
  • La durée du marché : l’un des principes de la méthode Agile est de mener le projet en cycle court pour évaluer régulièrement les progrès. Pour répondre à cette exigence, l’acheteur public privilégiera une durée de marché de quelques mois à un an. Tout dépendra bien évidemment de la complexité du projet.
  • Le fractionnement à tranches et à bons de commande : le mode incrémental d’un projet Agile pourra être géré dans le cadre d’un marché fractionné à tranches : une tranche ferme et une ou plusieurs tranches conditionnelles dans lesquelles on pourra émettre des bons de commande pour commander des itérations sur la base d’unités d’œuvre assortie d’une échelle de variabilité des engagements (complexité, durée, quantité).
  • L’accord-cadre : l’accord-cadre peut-être une solution préférable au marché à tranches et à bons de commande si la solution à mettre en œuvre est soumise à des aléas technologiques et humains importants. Plus la solution est complexe, plus la méthode Agile sera appropriée et plus elle devra être utilisée de bout en bout par l’acheteur. Chaque marché subséquent est alors passé selon les besoins de l’acheteur. Ce dernier pourra définir au niveau de l’accord-cadre un cahier des charges large comportant une liste de fonctionnalités avec ses modalités d’évolution (priorité, profondeur, périmètre). Chaque fonctionnalité sera elle-même divisée en composant fonctionnel donnant lieu à des unités d’œuvre. L’acheteur pourra définir un maximum afin de maîtriser son budget.
  • L’arrêt à la fin d’une itération: l’acheteur public ne manquera de prévoir dans le marché la faculté de l’arrêter à la fin de chaque itération. A cet effet, il indiquera l’obligation pour le prestataire de livrer au terme de chaque itération un sous-ensemble opérationnel de la solution cible.

Ainsi, l’introduction de la méthode Agile dans les marchés publics n’est donc pas inéluctable. Les incompatibilités apparentes avec les dispositions du code des marchés publics rendent sa mise en œuvre complexe mais pas insurmontable. L’acheteur public devra privilégier un dispositif mixte dans lequel un périmètre fonctionnel maximum sera défini et l’agilité autorisée dans le cadre notamment de la profondeur fonctionnelle.

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